Etudier la grammaire de l'hébreu biblique et découvrir.... du " tout autre " !
Apprendre la grammaire d’une langue peut parfois paraître fastidieux, difficile, voire rébarbatif. Beaucoup d’efforts à fournir, si peu de fruits à savourer !
La grammaire de l’hébreu biblique a priori semble ne pas déroger à ce constat : elle ne semble ni plus simple ni plus nourrissante qu’une autre. Et pourtant…
Tout d’abord, l’expérience nous montre qu’avec une bonne méthode d’apprentissage ─ faite notamment de pédagogie et d’outils de travail clairs et pratiques ─, la grammaire hébraïque est tout à fait accessible.
Elle peut certes nous désarçonner, parfois même nous décourager, et pourtant elle se révèle logique, subtile et infiniment riche.
Regardons par exemple le genre et le nombre des substantifs : nous découvrons avec surprise que certains mots en hébreu biblique sont à la fois masculin et féminin (ainsi שֶׁ֫מֶשׁ [shèmèsh] : soleil), que d’autres ne possèdent pas de pluriel (tel אָדָם [‛adam] : être humain) ou, tout au contraire, qu’ils n’existent qu’au pluriel. C’est le cas de פָּנִים [panim] qui signifie faces / visages, comme si finalement un visage seul n’existe pas, qu’un visage possède plusieurs faces ou qu’en chaque visage, une autre face est imprimée.
Et voilà qu’en un seul mot, un océan de sens apparaît !
Mieux, en étudiant plus précisément le nombre des noms, nous découvrons qu’outre le singulier et le pluriel, l’hébreu biblique possède un autre nombre appelé « duel ». Celui-ci est utilisé pour les entités allant par deux. C’est le cas par exemple du mot רַגְלַ֫יִם [raglayim], qui signifie deux pieds, mais aussi de יְרוּשָׁלַ֫יִם [yeroushalayim], qui est le nom Jérusalem. On devine ici que l’idée d’une Jérusalem terrestre et l’idée d’une Jérusalem céleste ou d’une Jérusalem extérieure et d’une Jérusalem intérieure sont toutes deux présentes dans cet unique mot.
L’une des richesses de l’hébreu biblique tient à ce que sa grammaire revêt, peutêtre davantage encore que les grammaires des autres langues, une dimension toute autre. En effet, même si toute grammaire est une façon particulière pour l’Homme de penser l’Homme, son peuple et l’existence, celle dont use la Bible, ce texte sacré écrit en une langue sacrée, comporte une dimension qui dépasse la condition des simples mortels.
Ne soyons donc pas surpris qu’au cœur même de cette grammaire du « tout-autre » se dévoile !
Et cela s’expérimente très vite quand nous découvrons en hébreu les livres de l’Ancien Testament et que nous y entendons pour la première fois, une tonalité nouvelle. En effet, analyser les mots hébraïques de la Bible, leur morphologie, leur syntaxe, leur conjugaison, permet d’appréhender de manière très précise et nuancée chaque verset écrit en hébreu.
Prenons par exemple un extrait du verset 7 du chapitre 3 du livre de l’Exode. Dieu, sous la forme du Tétragramme, s’entretient avec Moïse juste après l’épisode du Buisson ardent et lui dit : וְאֶת צַעֲקָתָם שָׁמַעְתִּי [we’èt tsa‛aqatam shama‛ti]. Nous lisons dans les traductions « j’ai entendu son cri » (Bible de Jérusalem), celui ici du peuple.
Quand nous étudions ces mots en hébreu, nous constatons que le complément d’objet (וְאֶת צַעֲקָתָם : leur cri) est placé avant le verbe (שָׁמַעְתִּי : j’ai entendu). Or, cet ordre n’est pas habituel. En effet, une phrase en hébreu biblique commence généralement par le verbe, suivi du sujet puis du complément. Ici, la présence du complément d’objet avant le verbe met le complément d’objet en position d’emphase : il y a donc insistance sur leur cri. Aussi pourrions-nous traduire par : vraiment leur cri, j’ai entendu ou c’est vraiment leur cri que j’ai entendu. Ainsi, ce qui est mis ici en exergue par le biais de la construction syntaxique n’est pas tant le fait que le Tétragramme entende mais le fait que ce qu’il entend, c’est bien le cri de détresse de son peuple, sinon le cri de chaque individu qui compose son peuple puisqu’en hébreu, le suffixe nominal utilisé pour qualifier le cri est au pluriel : ce n’est donc pas « son cri » mais « leur cri », à savoir le cri de chaque homme qui, ensemble, n’en forme plus qu’un.
Nous voyons ainsi que l’analyse grammaticale de quelques mots apporte déjà une épaisseur et une profondeur au texte qui semblaient jusquelà inaperçues. Aussi, à l’échelle d’un livre entier ou de la Bible hébraïque dans son intégralité, c’est toute la structure et les courbures de la Parole qui se dessinent quand nous nous penchons, par la grammaire, sur les règles de construction du texte. Étudier les règles de grammaire revient alors à étudier les règles qui forment le socle à partir duquel s’élèvent les mots vers le Très Haut et les piliers sur lesquels repose toute l’architecture de la Parole. Les mots deviennent alors les matériaux de cet édifice sacré.
Aussi, par le biais de l’analyse grammaticale se dévoile peu à peu la charpente extrêmement fine et délicate du texte biblique.
Et ce n’est pas tout !
Il n’existe pas de charpente sans charpentier ! À travers la grammaire hébraïque, c’est bien quelque chose du bâtisseur qui nous est révélé, quelques précisions sur le Créateur de cette œuvre sacrée. Dès lors, en tentant de mieux connaître la charpente de cet édifice, c’est bien le Charpentier de cet édifice qui tente de se faire connaître.
Regardons pour cela 2 extraits du livre d’Isaïe.
Au chapitre 43, verset 4 le Tétragramme dit : וַאֲנִי אֲהַבְתִּיךָ [wa’ani ’ahabtikha] : et moi je t’aime
Puis au chapitre 51, verset 12 il dit : אָנֹכִי אָנֹכִי הוּא מְנַחֶמְכֶם [’anokhi ’anokhi hou’ menaḥèmekhèm] : moi, moi celui vous consolant
Dans les 2 versets, nous avons l’emploi du pronom personnel indépendant 1ère personne du singulier (dans le verset 12 du chapitre 51, celui-ci est même répété) que nous traduisons habituellement par « moi » et cela, sans distinction. Cependant, nous voyons que dans le texte hébreu, ce pronom personnel apparaît sous 2 formes distinctes : אֲנִי au chapitre 43 et אָנֹכִי au chapitre 51. Sous la forme אָנֹכִי la consonne כ (kaph) est donc ajoutée. Aussi pouvons-nous en déduire que quand le Tétragramme console au chapitre 51 du livre d’Isaïe, le pronom personnel qui l’identifie est un peu différent de quand il aime au chapitre 43 de ce même livre. Et cette nuance repose sur une seule lettre, la lettre כ (kaph) qui nous invite alors à nous approcher afin de saisir la tonalité qu’elle ajoute.
Enfin, parce que la grammaire hébraïque requiert du temps pour s’acquérir, celleci en même temps que je la travaille, me travaille au point de constater un jour que c’est elle qui me structure et m’édifie.
La raison en est que la grammaire hébraïque ne porte pas seulement des mots. Elle porte des mots qui sont Paroles et qui, silencieusement, me portent.
C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de me concentrer sur l’étude grammaticale de cet édifice de mots, ou même de m’arrêter à l’exploration des règles de construction de cet texte mais encore, de devenir à mon tour architecte et charpentier, bâtisseur de mon Temple intérieur et bâtisseur de ma propre parole.