La prière du « Notre Père » en hébreu

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  • 09 Janvier 2021

Une prière du « Notre Père » en hébreu ?

Nous ne connaissons pas la version originelle de la prière du « Notre Père », puisqu’elle nous a été transmise par le biais des Evangiles, écrits en grec, alors que Jésus l’a très probablement prononcée en araméen ou en hébreu, à savoir la langue qui a toujours été consacrée à la prière.

Le texte ici en hébreu du « Notre Père » est donc une rétroversion, c’est-à-dire une retraduction en hébreu d’un texte grec lui-même déjà traduit. La démarche entreprise est donc de tenter de retrouver les mots tels qu’ils auraient pu être énoncés par Jésus.

Bien sûr, ce n’est qu’une tentative mais qui a le mérite de nous ̎ approcher ̎ de la prière originelle, au moins par ses sonorités sémites.

Aussi ne serons-nous pas surpris de constater qu’il existe plusieurs versions du « Notre Père » en hébreu, cet exercice de retraduction d’une traduction pouvant être menés à bien différemment.

 

 

Des mots inscrits dans la tradition juive de l’époque.

Nous savons que cette prière apparaît à 2 reprises dans les Evangiles :

  • dans l’Evangile de Matthieu au chap. 6, 913 dans une version « longue » composée de sept demandes (c’est la version retenue pour la liturgie)
  • et dans l’Evangile de Luc au chap.11, 24 dans une version plus « courte » de quatre demandes.

 

Cette prière, dite par Jésus, à savoir un juif, priant et enseignant dans les synagogues, s’inscrit dans la tradition juive de l’époque puisqu’elle reprend les paroles essentielles de la prière juive et notamment deux d’entre elles : la prière centrale de la liturgie juive appelée la « prière des 18 bénédictions » ou « ‛amida », ainsi que le « Qaddish », prière en araméen qui sanctifie le Nom.

Aussi est-ce un peu comme si Jésus, ici, reprenait les paroles essentielles de la prière juive.

 

 

Père de nous / (le) Père de nous

Certes, analyser en hébreu chaque mot de cette prière pour en recueillir toutes les saveurs est un travail passionnant mais qui nécessite un apprentissage minimal de cette langue.

A défaut, pouvons-nous aujourd’hui nous pencher sur le tout premier mot de cette prière en hébreu : אָבִינוּ (’abinou)

Nous sommes habitués à le traduire par notre Père. Seulement, que nous dit précisément l’hébreu biblique ?

 

אָבִינוּ est un mot composé de deux éléments :

  • le mot père אָב (’ab) à une forme grammaticale appelée l’état construit : אֲבִי
  • mot auquel est ajouté un suffixe nominal à la 1ère personne du masculin singulier : נוּ

Ce suffixe, par définition, se place à la fin du mot auquel il est attaché et signifie en hébreu biblique de nous.

Ainsi, la structure grammaticale de ce mot en hébreu nous invite à traduire Père de nous ou le Père de nous et non pas notre Père, le suffixe étant placé après le nom et les pronoms possessifs comme notre n’existant pas en hébreu biblique.

 

 

« Notre Père » ? ou « (le) Père de nous » ?

Peut-être est-ce juste un détail de traduction sans importance ?

Peut-être, au contraire, est-ce un détail qui a toute son importance en tant qu’il nous ouvre une perspective nouvelle et un espace nouveau de réflexion où la notion même de possession est remise en question ?

 

Il appartient à chacun de laisser résonner ces 2 expressions pour tenter de répondre mais voici quelques éléments pouvant nourrir une réflexion :

  • tout d’abord, l’appellation ̎ Père de nous ̎ composée en français de trois éléments et non de deux, n’ajoute-t-elle pas comme un ̎ espace ̎ ou une ̎ respiration ̎ supplémentaire dans cette relation entre l’Homme et son Dieu, entre l’Homme et le Dieu de lui ?
  • en outre, l’absence du pronom possessif ne pourrait-elle pas constituer une mise en garde face au risque d’appropriation de ce Père de chacun de nous en un Père rien qu’à nous ?
  • enfin, en disant  ̎ Père de nous ̎  la priorité d’un père ̎ en premier ̎ comme condition même d’un ̎ nous ̎ n’est-elle suggérée, ce qui ne serait que rappeler l’ordre des choses ?